"On disoit à Socrates que quelqu'un ne s'estoit aucunement amendé en son voyage: Je croy bien, dit-il, il s'estoit emporté avecques soy."
Montaigne, Essais, I, 39: "De la solitude"

"Oh there is blessing in this gentle breeze"
William Wordsworth, The Prelude, I, 1

dimanche 29 avril 2012

L'homme-vélocipède

"We can beat the swiftest steed/With our new velocipede" (1869)
 Moitié roue et moitié cerveau,
Voici l’homme-vélocipède.
Il va, plus docile qu’un veau,
Moitié roue et moitié cerveau.
Il se rit, animal nouveau,
De Buffon et de Lacépède !
Moitié roue et moitié cerveau,
Voici l’homme-vélocipède.

Théodore de Banville, « Le vélocipède »
(Les Occidentales, 1875)

vendredi 27 avril 2012

Paris - Compiègne - Paris (220km)

26-27/04/2012

Départ de Paris à 7h30 après une trop courte nuit. Le poignet va à peu près. Les rues sont encore bonnes à cette heure. Direction le nord : Saint-Denis, Sarcelles, Villiers-le-Bel.
Le théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis
 Je m'habitue petit à petit aux pédales automatiques : c'est une question de conviction, il faut bien appuyer pour que ça rentre. Et de mémoire : ne pas oublier qu'on a les pieds attachés. La D316 me mène à Chantilly en peu de temps, le vent souffle assez fort du bon côté. En descente je vais vraiment vite. Mon vélo ne fait aucun bruit. L'odeur un peu écœurante des champs de colza qui brillent d'un jaune presque agressif.
A Chantilly, il fait gris mais le soleil n'est pas loin. Je tombe sur une rue au nom propice.

Cette rue mène à un petit musée appelé le "Pavillon de Manse", qui détaille le fonctionnement des machines hydrauliques alimentant en eau le système des fontaines du château de Chantilly. Comme il est tôt, il n'y a personne, j'ai le musée pour moi toute seule. Je fais clic-cloc avec mes chaussures à cales. J'admire la réplique de la machine hydraulique du prince de Condé, un dispositif qui marche mieux qu'une simple noria puisqu'il peut faire monter l'eau au dessus du niveau de la roue à aubes. Il repose sur le principe du bélier hydraulique.


Il est temps d'aller voir le château. Je me perds un peu.

"Pardon Monsieur, où se trouve le château ?
- La jeune fille à vélo elle veut voir le château. Eh ben c'est pas loin, c'est juste par là, mais tu vas souffrir parce que c'est comme Paris-Roubaix, c'est que des pavés.
- Ah ! Ça ne fait rien. Merci."

Si, ça fait. Parce que le vélo en carbone n'aime pas les chocs, et si je marche mes chaussures glissent sur les pavés. Je roule donc sur un talus herbeux. Et puis j'arrive au château. Il y a un rayon de soleil.

Le château de Chantilly, avec rayon de soleil
Je décide de passer par les routes les plus petites possibles, ça marche bien, mais la route s'allonge un peu. Je roule vers l'est jusqu'à Senlis. C'est un moment presque sans voitures où je me dis que ce vélo est vraiment un miracle.
Senlis, c'est joli, mais c'est plein de pavés. J'essaie de traverser une route, mon pied glisse sur une traître dalle, je m'étale de tout mon long ainsi que mon vélo, et me voilà la risée des passants. Je me relève, aussi dignement que possible en pareille circonstance. Les cales de mes chaussures sont desserrées, je m'assieds sur un banc pour arranger ça. A la cathédrale j'entre dans un café pour remplir ma bouteille. Il y a deux serveurs bien habillés. En fait ce n'est pas un café, plutôt un restaurant chic. Je demande de l'eau, le premier serveur se tourne vers le second en lui tendant ma bouteille:

"De l'eau bien fraîche pour la jeune fille, s'il te plaît." L'autre s'en va chercher de l'eau.
"Vous venez d'où comme ça ?
-- De Paris.
-- Ah bon ? Mais vous êtes, euh, pro ?
[Dis-lui que tu prépares le tour de France féminin. Allez.]
 -- Non, non, j'aime bien le vélo, c'est tout."

En route vers la forêt. Je passe par Ognon, puis Brasseuse, je commence à avoir faim -- mais point de vivres dans ces villages minuscules. J'arrive à Raray par un temps très instable. Un château est indiqué ainsi qu'un golf, je fais un petit détour pour aller voir. On dirait Moulinsart.
Le château de Raray
Près du château il y a un restaurant plutôt chic pour les clients du golf. J'hésite un moment à entrer: ce n'est pas un endroit pour cyclistes boueux. Alors que je me résigne à repartir, un serveur me fait signe d'entrer. J'ai faim, j'accepte. Le restaurant est presque vide, le serveur et la serveuse se chamaillent, et me font payer un sandwich au saumon (avec beaucoup de saumon !) le prix d'un jambon beurre. Je reprends la route en somnolant un peu.

Sortie du golf (c'est chic)
Me voilà dans la forêt. Je m'engage sur une route rouge en espérant qu'elle ne se transformera pas à l'improviste en route de terre. Tout cela est un peu irrégulier, mais le bitume ne disparaît pas.
Ceci est un panneau indicateur.
Je croise des motocross qui font trop de bruit, vraiment ! Et très peu de voitures. Le temps se fait plus menaçant. J'arrive à Compiègne sous une averse de grosses gouttes franches. Je longe l'hippodrome, d'assez mauvaise humeur - j'ai un peu faim et un peu froid. Au château il y a trop de pavés. Je trouve une rue d'Ulm. Puis je tombe sur l'hôtel de ville, où il y a Jeanne d'Arc.
"Je yray voir mes bons amys de Compiengne"
En face de Jeanne majestueuse, le beffroi de l'hôtel de ville et ses trois petits bonshommes, Langlois, Lansquenet et Flandrin, qui, obéissants, sonnent les cloches tous les quarts d'heure. Je tombe sur une affiche où sont inscrits les résultats du premier tour : Sarkozy est en tête.

Je m'endors un peu sur un banc, le soleil est revenu pour un temps. Puis, les bords de l'Oise et la maison de Jean-Claude et Françoise. On boit du kir et on raconte des choses. Leur petite-fille de cinq ans est un peu intriguée par la cycliste. Je sers d'alibi: "Léna, est-ce que tu vas manger du veau aux carottes comme Marine ?" Je la traite de grenouille. Elle me traite de crapaud. Puis il est neuf heures, c'est tard ! Je vais dormir.

Le lendemain le vent est au sud, et ainsi toute la journée. Ça fait du bruit dans mes oreilles, je voudrais du silence. Jean-Claude et Françoise m'ont conseillé d'aller à Saint-Jean au Bois, dont les habitants sont appelés les Solitaires. Une très ancienne abbatiale est tout au centre, au milieu de petites maisons de pierre.

Puis je me dirige vers Pierrefonds. Je monte au château, je visite en chaussettes pour ne pas abîmer le parquet.

Ce chevalier a l'air content. Il n'a que faire du temps qu'il fait, ni même du temps qui passe.
Viollet-le-Duc a tout reconstruit au XIXe siècle. Le château est resté en ruines pendant un bon bout de temps, Napoléon Ier l'a acheté pour une bouchée de pain en 1810, puis à la fin du XIXè Eugénie a décidé que ce serait très joli d'avoir un beau château pour faire de petites fêtes entre amis. Finalement la famille impériale n'y est presque jamais allée... Pour autant, ces ruines n'auront pas été ranimées en vain.
La "salle des Preuses" : Viollet-le-Duc s'est fait plaisir.
La suite est difficile. Le vent du sud continue à souffler, je prends des routes toutes droites. Normalement j'aime ça, mais là il y a trop de vent. C'est pourtant loin d'être la tempête. Est-ce à cause de la légèreté de mon vélo que le vent me pèse autant ? Je me mets en position Superman pour me frayer un chemin dans le vent. Je pense à Graeme Obree.

Crépy en Vallois. Il s'agit à présent d'éviter la Nationale 2 qui est impraticable, et pourtant la seule route directe. Le ciel est très chargé, de temps en temps quelques gouttes de pluie, le vent ne cesse pas, la densité du trafic augmente... Je longe Roissy et c'est un peu triste. Aulnay-sous-Bois. Les voitures vont vite et font des bêtises. Moi aussi : mes cales sont abîmées (j'ai un peu trop marché avec), et ça devient plus difficile de les fixer aux pédales. Drancy. Pantin.
Quand j'arrive en un lieu connu tout mon être est rasséréné d'un seul coup.

Au restaurant de Mohsen et Anne-Marie c'est la fête de la reine de Hollande ! Tout le monde mange des Bitterballen, de drôles de brochettes avec une sauce sucrée et du hareng au pain noir. Quelqu'un me dit que la recette des brochettes vient d'Indonésie, que tout ça n'est au fond qu'une affaire coloniale. On chante l'hymne hollandais, ou l'on fait semblant. J'en profite pour raconter à Fouad mes débuts difficiles avec les pédales automatiques. Il éclate de rire au récit de ma chute, s'esclaffe un bout de temps, et s'empresse de raconter l'anecdote à qui veut l'entendre.

Une grande file indienne, festive au plus au point, circule dans la rue Daubenton sous le regard interloqué des clients plus sages d'autres restaurants. Jaloux, sans doute. C'est chez Gepetto qu'on s'amuse. Fouad : "Eh, moi je suis pas Hollandais, hein ! Oh."

mardi 24 avril 2012

My new carbon bike

It's black and it's proud. Here is my new carbon bike. Brand: TREK (OCLV).

La chute la plus stupide de toute ma vie: tomber à l'arrêt et se retrouver sous le vélo, le pied attaché à a la pédale, parce que mon cerveau n'avait pas compris le fonctionnement des pédales automatiques.
Mal au poignet.

samedi 21 avril 2012

Paris - Versailles - Paris (42km)

21/04/2012
Départ d'Ulm vers 8h30, quelques tours errants dans les rues parisiennes avant de décider où je vais. Le vent souffle de l'ouest. Mais c'est tellement simple de pédaler sans bagages, et mon vélo est si miraculeusement léger, qu'avoir le vent dans le dos serait tenter le diable par trop de bonheur. J'opte pour Versailles. Mon compteur, après un petit réglage, affiche enfin des données crédibles. J'aime quand les mètres défilent et se transforment en kilomètres : c'est très normal, et pourtant un peu magique.

Je tombe sur la rue de Sèvres, qui devient rue Lecourbe pour me mener presque jusqu'à la porte de Versailles. Sortir de Paris ! Puis la route est d'accord avec ma boussole, pour ma plus grande joie : c'est presque tout droit vers le sud-ouest. Le vent est contraire, cela se confirme, mais ça ne fait rien.

La D181 est une assez bonne route. Meudon, c'est joli à traverser. Je longe le parc. [Vérifier s'il y a une possibilité de passer par le parc, plutôt - trajet mal préparé, envie de rouler vite]. Après Meudon il y a une longue, longue montée, qui raidit peu à peu... Mais, une montée quand le vélo ne pèse rien ?

L'arrivée sur Versailles est une émotion. Au tournant de la rue de Paris, très large et très longue, on commence à apercevoir du doré tout au bout, et on peut pédaler en regardant avec envie le château qui s'annonce. La lumière est d'une beauté instable.
Arrivée sur le château
Au retour j'ai le vent dans le dos, la vitesse la plus dure n'est pas assez dure, comme les jours de très grande forme. La montée en sortant de Versailles n'est pas un problème, avec le vent qui me pousse fort aimablement.

Puis soudain, au milieu d'une descente, mes pieds se mettent à tourner dans le vide. C'est quelque chose de très vexant, un peu comme perdre les pédales sur un fixie. Je m'arrête en bas, mon câble est tout détendu, la troisième vitesse atteint à peine le plateau du milieu. J'essaie de réparer sur le trottoir. Un vieux monsieur attend, pour traverser la rue, que le petit bonhomme passe au vert.

"Vous réparez le vélo ?
-- Oui.
(Pause) Il est très sophistiqué.
-- Moui.
(Pause) Et est-ce qu'il a un moteur ?
-- Non hélas."

Le feu passe au vert et le monsieur traverse en me laissant à mon câble rétif. Je n'ai rien pu faire de bon avec mes faibles mains: il faut toujours prendre une paire de pinces, même sur les courts trajets. J'avais pourtant bien une clé à molette, inutilement lourde... J'ai donc mouliné en deuxième plateau jusqu'à Paris. Arrivée vers 11h30.
Je vais directement chez Gepetto&Vélos pour retendre mon câble. J'en profite pour dévoiler ma roue arrière avec un vrai stand, tout neuf, et ma petite clé à rayons.
Arrêt au stand chez Gepetto
Anne-Marie: "On dirait que tu y prends goût".
Fouad: "En plus tes pneus sont dégonflés. Et il faut changer ces patins. Bientôt le métal va frotter contre la jante".
La faute aux collines anglaises !

"Est-ce que tu viendra vendredi à la fête de la reine de Hollande?" Anne-Marie a créé une affiche où l'on voit la reine avec des cheveux orange, qui s'exclame en Hollandais: "Soyons fous !"
Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la reine d'Angleterre. Et moi, comme pour fêter tous les monarques, j'ai admiré un très-équestre Louis XIV tout en bronze sur la place d'Armes.